La crise sanitaire de 2020 a, semble-t-il, vacciné voire immunisé bon nombre de salariés contre le travail en présentiel, les open-spaces bruyants et les réunions qui n’en finissent plus.
Le télétravail est ainsi rapidement passé d’une mesure de confinement à une forme de travail plébiscitée par la majorité des salariés de bureau en raison notamment du haut degré d’autonomie qu’elle offre à ses adeptes. Exit donc les longs trajets quotidiens et les distractions du bureau, place à la concentration et à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
Mais qui dit nouvelle organisation du travail, dit aussi nouvelles questions. Parmi elles, celle de la prise en charge des frais du télétravail par l’employeur.
Selon la loi, l’employeur n’est en principe pas tenu de prendre en charge les frais liés au télétravail. Toutefois, un débat juridique persiste et de nombreuses nuances existent. Certaines dispositions, qu’elles soient conventionnelles ou issues du Code du travail lui-même, peuvent l’amener, l’encourager, voire l’obliger à le faire.
I. État des lieux juridique sur la prise en charge des frais de télétravail
Un employeur doit-il prendre en charge les coûts liés au télétravail ? À cette question fondamentale, la loi française répond “non”. Cependant, ce “non” est nuancé par la pratique et certaines obligations.
→ Une entreprise doit en effet tout mettre en œuvre pour que ses salariés puissent mener à bien leur mission, qu’ils soient dans un open-space ou en télétravail depuis leur domicile ou un lieu-tiers.
A - Aucune obligation légale pour l'employeur
Depuis le 24 septembre 2017, le code du travail (art. L. 1222-10,) ne prévoit plus de règle explicite obligeant l’employeur à prendre en charge la totalité des coûts liés au télétravail.
Pour rappel, avant cette date (date d’entrée en vigueur de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017), le code du travail imposait à l’employeur de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci.
B - L'égalité des droits des salariés en télétravail
Cependant, ce même Code du travail stipule que : “un salarié en télétravail bénéficie des mêmes droits qu’un salarié exécutant son travail dans les locaux de l’entreprise” (Code du travail art. L 1222-9, III).
→ Cette règle fondamentale doit être respectée en matière de télétravail. Par exemple, un salarié en télétravail a le droit de bénéficier des mêmes avantages en matière de mutuelle ou de tickets restaurant que les salariés travaillant sur site.
C - Les niveaux de prise en charge prévus par l'Accord National Interprofessionnel (ANI)
Il faut alors se tourner vers l’ Accord National Interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail régulier prévoit que dans le cas où le télétravail est exercé à domicile, l’employeur “fournit, installe et entretient les équipements nécessaires au télétravail (article 7)
Un nouvel accord signé en en 2020 prévoit que les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur.
→ Selon les termes précis de cet accord « le principe selon lequel les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur s’applique à l’ensemble des situations de travail. À ce titre, il appartient ainsi à l’entreprise de prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur » (art. 3.1.5).
Attention :ces accords peuvent être supplantés par un accord d’entreprise, d’établissement ou de groupe qui pourrait introduire des dispositions moins avantageuses pour le salarié que celles prévues par l’accord initial. C’est l’application du principe de primauté tel qu’énoncé à l’article L.2253-3 du Code du travail.
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II. La Cour d'appel de Paris tranche : pas d'indemnisation pour les frais de télétravail (3 avril 2024)
Dans un arrêt du 3 avril 2024, la Cour d’appel de Paris a statué sur le cas d’une salariée qui réclamait à son employeur une indemnisation de 2 500 € pour absence de prise en charge des frais liés à son activité en télétravail.
Rappel du contexte légal
Rappelons qu’en principe, l’employeur n’a aucune obligation légale de prendre en charge les frais engendrés par le télétravail de ses salariés. Cette position est confirmée par le Code du travail ne prévoit plus l’obligation pour l’employeur de prendre en charge les coûts liés au télétravail
→ La Cour d’appel précise également qu’aucun accord n’a été formalisé entre l’employeur et la salariée sur la question du télétravail alors que l’article L 1222 – 9 du Code Travail stipule expressément que “Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. En l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen.
La décision de la Cout d'appel de Paris
Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris a jugé que l’employeur n’était pas tenu de rembourser les frais de télétravail à la salariée. Par conséquent, la Cour d’appel a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts.
Motivations de la Cour
La Cour a fondé sa décision sur plusieurs arguments :
- Absence d’obligation légale : comme mentionné précédemment, l’employeur n’est pas légalement tenu de prendre en charge les frais de télétravail.
- Absence de disposition conventionnelle : la convention collective applicable au cas d’espèce ne prévoyait aucune disposition relative à la prise en charge des frais de télétravail.
- Caractère forfaitaire de l’indemnité demandée : la Cour a considéré que la demande d’indemnisation de 2 500 € était forfaitaire et ne reposait sur aucun justificatif précis des frais engagés par la salariée.
Conséquences de l'arrêt
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence récente, qui tend à confirmer le principe selon lequel l’employeur n’est pas tenu de prendre en charge les frais de télétravail en l’absence d’obligation légale ou conventionnelle expresse.
III. La Cour d'appel de Versailles confirme l'obligation de l'employeur de prendre en charge les frais de télétravail (21 mars 2024)
Dans un arrêt du 21 mars 2024, la Cour d’appel de Versailles a statué sur le cas d’une salariée qui réclamait à son employeur une indemnisation forfaitaire de ses frais professionnels liés à une période de télétravail durant la crise sanitaire de Covid-19.
Rappel des faits
La salariée en question avait été contrainte d’effectuer du télétravail à son domicile du fait de la crise sanitaire. Elle avait alors demandé à son employeur de lui rembourser ses frais professionnels liés à cette situation, notamment les frais d’électricité, d’internet et d’usure de son matériel informatique.
L’employeur avait refusé de prendre en charge ces frais, arguant qu’il n’y était pas tenu légalement.
La décision de la Cour d'appel de Versailles
La Cour d’appel de Versailles a donné raison à la salariée et a condamné l’employeur à lui rembourser ses frais professionnels liés au télétravail.
Motivations de la Cour
La Cour a fondé sa décision sur plusieurs arguments :
- L’obligation de sécurité de l’employeur : l’article L.4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de “prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la protection de la santé de ses salariés”, y compris dans le cadre du télétravail.
- Les frais professionnels liés au télétravail sont des frais nécessaires à l’exécution du contrat de travail : la Cour a considéré que les frais d’électricité, d’internet et d’usure du matériel informatique engagés par la salariée dans le cadre de son activité en télétravail étaient des frais nécessaires à l’exécution de son contrat de travail.
- L’absence de contrepartie financière pour le télétravail : la Cour a relevé que la salariée n’avait reçu aucune contrepartie financière pour le fait d’avoir effectué du télétravail.
Conséquences de l'arrêt
Cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles est une décision importante qui vient conforter l’obligation des employeurs de prendre en charge les frais de télétravail de leurs salariés
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Conclusion
L’obligation de l’employeur de prendre en charge les frais de télétravail de ses salariés est un sujet d’actualité brûlant, illustré par la divergence de jurisprudence entre les Cours d’appel de Paris et de Versailles.
Cette divergence jurisprudentielle ouvre la voie à une éventuelle saisine de la Cour de cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français.
La décision de la Cour de cassation sur cette question aura un impact important sur la jurisprudence en matière de télétravail et permettra de clarifier définitivement les obligations respectives des employeurs et des salariés en matière de prise en charge des frais liés à cette nouvelle organisation du travail.
En attendant, il est important pour les employeurs et les salariés d’adopter une approche proactive et de contractualiser les conditions de prise en charge des frais de télétravail afin d’éviter tout litige.
Retenons l’essentiel :
- Aucune loi n’oblige actuellement les employeurs à couvrir financièrement les frais engagés par leurs salariés en télétravail.
- Seul un accord collectif d’entreprise ou une charte établie par l’employeur peuvent rendre obligatoire cette prise en charge.
Mais :
- Le droit du travail stipule aussi que tout employeur doit prendre en charge les frais engagés par ses salariés dans le cadre de l’exécution de leur contrat de travail.
- En pratique, de nombreux employeurs fournissent un certain niveau de soutien aux travailleurs à distance pour s’assurer qu’ils disposent des outils et des ressources nécessaires pour effectuer leur travail efficacement.
En conséquence :
- Il est important pour l’employeur et le salarié de discuter des modalités de prise en charge des frais liés au télétravail et de les formaliser dans un accord écrit pour éviter tout malentendu.
- Il est important pour les employeurs de bien comprendre leurs obligations légales et de prendre des décisions éclairées en matière de soutien aux travailleurs à distance.