GT-Expertise - Social / RH - Congés payés et maladie : le report désormais possible

La Cour de cassation a rendu, le 10 septembre 2025, un arrêt décisif qui modifie profondément la façon de traiter la maladie survenue pendant les congés payés. Conformément au droit de l’Union européenne, elle reconnait désormais que l’arrêt de travail pour maladie, lorsqu’il intervient durant une période de congés, ouvre un droit au report des jours de congé payés coïncidant avec cette maladie — à condition que le salarié notifie son arrêt à l’employeur. Ce revirement marque la fin d’une jurisprudence longtemps contestée et pose de nouvelles obligations pratiques pour les employeurs.

Dans ce texte, nous examinons en détail les fondements juridiques de cette décision, ses implications pratiques pour les employeurs et les salariés, ainsi que les incertitudes encore en suspens.

Du statu quo jurisprudentiel au revirement de la Cour de cassation

La jurisprudence ancienne : pas de report du congé en cas de maladie

Pendant de longues années, la Cour de cassation refusait de reconnaître, pour un salarié tombant malade pendant ses congés, le report de la période de congé coïncidant avec la maladie. Selon cette jurisprudence classique (arrêt du 4 décembre 1996), l’employeur, ayant déjà versé l’indemnité de congé payé, avait rempli son obligation, et la maladie ne permettait pas de remettre en cause cette compensation. Le salarié touchait ainsi l’indemnité de congé payé et les indemnités journalières de la Sécurité sociale (IJSS), mais ne pouvait pas obtenir un nouveau congé payé pour les jours “perdus” du fait de sa maladie.

Cette construction avait été consolidée par de nombreux arrêts, notamment l’arrêt du 26 novembre 1964 (cumul indemnité de congé + IJSS) et l’arrêt du 2 mars 1989 (absence d’indemnité complémentaire de l’employeur, sauf dispositions conventionnelles plus favorables). Il a alors existé un paradoxe : le salarié malade pendant ses congés ne “perdait” pas d’argent — mais perdait la chance de profiter effectivement du repos prévu par le congé.

Le droit européen : le principe du maintien du droit au congé annuel

Cependant, cette jurisprudence s’est progressivement heurtée aux exigences du droit de l’Union européenne. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a affirmé plusieurs fois que le droit au congé annuel payé est un principe essentiel du droit social de l’UE (notamment dans les affaires 569/16 et 570/16). Elle a également distingué la finalité du congé (repos, loisirs) de celle de la maladie (rétablissement) — le salarié ne doit pas perdre le droit au congé du seul fait d’une incapacité de travail intervenue durant le congé. (CJUE, 6 nov. 2018 ; CJUE, 20 janv. 2009 ; CJUE, 10 sept. 2009 ; CJUE, 21 juin 2012).

Par conséquent, le droit européen venait contester la jurisprudence française qui privait les salariés de leur droit au report. En juin 2025, la Commission européenne avait adressé une mise en demeure à la France de se conformer aux injonctions européennes en matière de temps de travail et de congés.

Le revirement de la Cour de cassation du 10 septembre 2025

Dans l’arrêt du 10 septembre 2025, la Cour de cassation opère un revirement : elle juge qu’un salarié en arrêt de travail pour cause de maladie pendant ses congés payés a désormais droit au report des jours de congé coïncidant avec cette maladie, dès lors que l’arrêt a été notifié à l’employeur. Autrement dit, l’ancienne jurisprudence est abandonnée, et le droit national est interprété à la lumière de la directive du 4 novembre 2003 (directive 2003/88).

La Cour précise également que cette nouvelle interprétation s’applique immédiatement aux litiges en cours (y compris antérieurs), dès lors que le salarié a respecté l’obligation de notification de l’arrêt maladie (et ce indépendamment de l’indemnisation). Elle impose donc aux juges du fond de rejeter l’ancienne doctrine dès qu’un salarié se met en mesure d’en faire valoir ses droits.

Par ailleurs, la Cour se prononce sur la question du point de départ de la prescription d’une action en répétition de l’indemnité de congé payé versée à tort : elle rappelle que cette action a une nature de créance salariale, est prescrite par trois ans, et commence à courir à la date du paiement de l’indemnité — si l’employeur était en mesure, à ce moment-là, de connaître l’erreur.

Conditions et modalités d’application du nouveau droit au report

Condition essentielle : la notification de l’arrêt maladie à l’employeur

Le point clé conditionnant le droit au report est la notification de l’arrêt de travail à l’employeur. La Cour de cassation pose que le simple fait d’avoir notifié l’arrêt suffit à déclencher le droit, sans qu’il soit nécessaire que l’arrêt ait donné lieu à indemnisation ou à d’autres conséquences. Tant que l’employeur a reçu l’information, le salarié peut exiger le report des jours de congé non “effectués” du fait de la maladie.

Cette condition traduit une exigence de transparence et de communication : le salarié doit informer l’employeur dans les conditions normales d’un arrêt de travail (volets, moyens légaux, délais, etc.). Si l’arrêt n’a pas été notifié, le droit au report pourrait ne pas jouer.

Suspension du congé initialement posé

Lorsque l’arrêt maladie coïncide avec des jours de congé, la période de congé payé est suspendue pendant la durée de l’arrêt. Deux scénarios se dessinent :

  • Le congé encore non expiré à l’issue de l’arrêt : Le salarié reprend le congé jusqu’à atteindre la durée initialement prévue, comme si l’interruption n’avait pas imputé le congé.
  • Le congé “posé” est arrivé à son terme pendant l’arrêt : Si le salarié ne peut pas “reprendre” le congé parce que la période de congé est expirée, il bénéficie d’un report de jours de congé. L’employeur devra lui notifier le nombre de jours reportés et la date limite pour en profiter (généralement dans un délai de 15 mois ou selon les dispositions du Code du travail ou des conventions). L’employeur peut, dans certaines conditions, imposer la prise de ces congés reportés, sous réserve d’un préavis d’un mois, mais dans le respect de l’ordre des départs en congé.


Cette règle s’applique non seulement aux congés “principaux”, mais peut a priori s’étendre aux congés conventionnels ou à la 5ᵉ semaine, sauf précision contraire par la jurisprudence.

Cas des congés payés acquis pendant l’arrêt

Pendant une période d’arrêt maladie, le salarié continue d’acquérir des droits à congé (à raison de 2 jours ouvrables par mois, au lieu de 2,5), conformément à l’article L.3141-3 du Code du travail. Le nouveau régime doit tenir compte de cette particularité dans le calcul des droits à congé futurs.

Salariés en vacances à l’étranger ou hors UE

Lorsque l’arrêt survient dans un État membre de l’Union européenne ou un pays lié par convention, les IJSS peuvent être versées selon les règles européennes, et l’arrêt prescrit peut être valablement notifié. Le droit au report jouerait dans ces conditions s’il y a notification.

En revanche, en dehors de ces situations (états non couverts ou sans convention), le salarié peut subir des interruptions d’indemnisation (absence d’IJSS pendant le temps passé à l’étranger). Toutefois, même dans ce cas, si l’arrêt est notifié à l’employeur, le salarié pourra exiger le report de ses congés payés (sans indemnité de maladie ni IJSS pendant la période). À son retour, si un arrêt lui est prescrit, il pourra percevoir les IJSS à compter du retour en France.

Impacts pratiques pour l’employeur

Gestion de la paie et ajustements rétroactifs

L’employeur doit désormais réajuster la paie en cas d’arrêt de travail intervenu pendant des congés payés. Cela implique :

  • Signaler l’arrêt via la DSN (Déclaration sociale nominative) ;
  • Recalculer l’indemnité de congé payé : retraiter pour les jours coïncidant avec la maladie. Si un trop-versé existe, il peut être retenu, dans les conditions légales ;
  • Maintien de salaire éventuel, selon les dispositions conventionnelles, après le délai de carence, ou si la convention le prévoit ;
  • Informer le salarié, dans le mois suivant sa reprise, du nombre de jours de congé reportés et de la période pendant laquelle il peut les prendre (conformément à l’article L.3141-19-3 du Code du travail) ;
  • Si la période de congé en cours permet de solder tout ou partie des jours reportés, l’employeur peut imposer la prise de ces congés dans le respect d’un préavis d’un mois ;
  • Pour les congés non pris, le salarié dispose d’un délai de 15 mois pour les faire valoir (article L.3141-19-1).
  • Enfin, tenir compte de l’arrêt dans le calcul des congés acquis pour l’année en cours.

Risques contentieux et obligations de transparence

Ce revirement expose l’employeur à des réclamations rétroactives si des salariés estiment qu’un arrêt maladie intervenu pendant leurs congés n’a pas donné lieu à un report alors qu’ils avaient informé l’employeur. L’employeur doit donc :

  • Vérifier dans ses archives si des arrêts avaient été notifiés pendant les congés, même antérieurement, et reconsidérer certains cas ;
  • En cas de litige, la Cour de cassation propose une application rétroactive, sous réserve que l’arrêt ait été notifié ;

Anticiper les créances réciproques : l’employeur peut demander la compensation ou la répétition de l’indemnité de congé payé indûment versée, dans les cas où le salarié bénéficiait d’un report. La prescription de cette action en répétition est de trois ans à compter du jour du paiement de l’indemnité si l’employeur pouvait identifier l’erreur à ce moment-là.

Incertitudes et points à surveiller

Plusieurs zones d’ombre subsistent :

  • La portée exacte du droit au report : inclut-il les jours de RTT, jours de récupération, congés conventionnels ?
  • La coexistence avec les dispositions de la loi du 22 avril 2024 sur les congés payés et les conditions de report : l’employeur pourrait imposer les congés reportés dans certaines conditions, mais la jurisprudence devra préciser l’articulation.
  • Le traitement en cas de rupture de contrat — le salarié ayant quitté l’entreprise peut-il réclamer après coup le report et une indemnité correspondante ?
  • La question de la compensation entre les indemnités versées : l’employeur pourra-t-il retenir ce qu’il a déjà versé et ne payer que la différence, ou devra-t-il restituer une somme nette ?

Le point de départ des prescriptions : l’employeur pourra agir en répétition s’il prouve qu’il était en mesure de relever l’indemnité induë au moment où il l’a payée.

L’arrêt du 10 septembre 2025 de la Cour de cassation constitue un tournant jurisprudentiel majeur : le salarié malade pendant ses congés payés peut désormais obtenir le report des jours de congé non consommés, si l’arrêt de travail a été notifié à l’employeur.

Pour les employeurs, cela impose une réorganisation de la gestion de la paie, un risque de contentieux accru et une vigilance sur la gestion rétroactive des arrêts. Les nouvelles obligations pèsent d’autant plus que la jurisprudence devra éclaircir les zones grises (compensation, RTT, cas de rupture, prescritions).

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